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Harcèlement moral au travail : quels faits constituent une preuve recevable ?

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Le 23 novembre 2025
Harcèlement moral au travail : quels faits constituent une preuve recevable ?
Découvrez quels faits constituent des preuves recevables de harcèlement moral. Guide juridique pour identifier les éléments probants

Plus de 2 millions de salariés en France seraient touchés par le harcèlement moral au travail selon la DARES, et 40% des salariés affirment avoir été victimes de comportements assimilables au harcèlement moral d'après une étude IFOP de 2022. Les femmes représentent environ 70% des victimes de ce phénomène qui détruit des vies professionnelles et personnelles. Face à cette réalité, nombreux sont ceux qui s'interrogent : comment prouver juridiquement ce qu'ils subissent ? Quels faits seront considérés comme des preuves valables devant un tribunal ? Maître Nedra ABDELMOUMEN, avocat dans la défense des victimes de harcèlement à Paris 10, accompagne régulièrement des victimes dans ces situations délicates où la frontière entre management autoritaire et harcèlement caractérisé n'est pas toujours évidente à établir.

  • Constituez un faisceau d'indices concordants : conservez systématiquement tous les écrits (emails, SMS, notes internes) et établissez un journal détaillé des faits avec dates précises, témoins présents et conséquences sur votre santé
  • Faites constater médicalement vos troubles : consultez votre médecin traitant ET le médecin du travail pour documenter l'évolution de votre état de santé (troubles anxieux, dépression, troubles du sommeil attestés médicalement)
  • La simple possibilité de dégradation suffit : vous n'avez pas besoin de prouver une dégradation effective de vos conditions de travail, la simple possibilité suffit à caractériser le délit selon la chambre criminelle
  • Exploitez la nouvelle jurisprudence sur les enregistrements : depuis décembre 2023, les enregistrements clandestins peuvent être admis s'ils constituent la seule preuve possible et restent proportionnés à l'objectif poursuivi

Comprendre la définition légale et les enjeux de la preuve

L'article L.1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié. Cette définition, apparemment simple, soulève pourtant de nombreuses questions pratiques. La chambre criminelle a d'ailleurs précisé que « la simple possibilité de dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral », l'effectivité de la dégradation n'étant pas nécessaire pour caractériser l'infraction.

Depuis la réforme de 2016, l'article L.1154-1 du Code du travail a modifié la répartition de la charge de la preuve. Vous devez d'abord présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. C'est seulement ensuite que votre employeur devra prouver que ses agissements ne constituent pas un harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs.

Cette évolution législative représente un véritable tournant pour les victimes. Auparavant, elles devaient apporter la preuve complète du harcèlement. Aujourd'hui, il suffit de constituer un faisceau d'indices concordants pour renverser la charge de la preuve.

Les faits qui caractérisent juridiquement le harcèlement moral

La frontière entre management légitime et harcèlement

Votre employeur dispose d'un pouvoir de direction qu'il peut exercer légitimement. Un simple rappel par courrier du respect de vos horaires de travail ou une sanction disciplinaire justifiée ne constituent pas du harcèlement, comme l'a confirmé la Cour de cassation. Toutefois, « la tenue de propos humiliants et vexatoires à un subordonné excède les limites du pouvoir de direction » selon la Cour de cassation (Cass. crim., 19 juin 2018, n° 17-84.007).

La limite est franchie lorsque les mesures prises sont injustifiées ou disproportionnées. Par exemple, si votre responsable vous sanctionne systématiquement pour des retards de quelques minutes alors qu'il tolère des absences prolongées de vos collègues, cette différence de traitement peut caractériser un harcèlement.

Les tensions normales liées au travail - stress ponctuel, désaccords professionnels, exigences de résultats - ne suffisent pas non plus à qualifier le harcèlement. C'est la répétition et le caractère systématique des comportements qui font basculer dans l'illégalité.

Les agissements reconnus comme constitutifs de harcèlement

La jurisprudence a progressivement identifié plusieurs types d'agissements caractéristiques. La mise à l'écart figure parmi les plus fréquents : suspension de vos moyens de communication, interdiction de parler aux collègues, changements quotidiens de secteur vous empêchant de créer des liens.

Les pressions permanentes constituent un autre mode opératoire classique. Injures, brimades, humiliations publiques, menaces de sanction, surveillance excessive de vos faits et gestes, interdiction d'aller aux toilettes sans autorisation : ces comportements, pris dans leur ensemble, dessinent le portrait d'un harcèlement caractérisé.

  • Les ingérences dans votre vie personnelle (conseils sur votre vie familiale, commentaires sur votre apparence)
  • L'attribution de tâches largement sous-qualifiées ou impossibles à réaliser dans les délais impartis
  • Les injonctions paradoxales vous plaçant systématiquement en situation d'échec
  • Le retrait progressif de toutes vos missions et responsabilités

La distinction entre harcèlement managérial et harcèlement institutionnel prend également de l'importance. Ce dernier, reconnu par la Cour de cassation en janvier 2025, résulte d'une politique d'entreprise conduisant délibérément à la dégradation des conditions de travail de plusieurs salariés. Il a « pour spécificité d'être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l'absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime ».

Exemple illustratif : Dans une entreprise de télécommunications, la direction met en place une politique de « performance absolue ». Les managers sont contraints d'appliquer des objectifs inatteignables (augmentation de 40% du chiffre d'affaires en 6 mois), de muter systématiquement les salariés tous les 3 mois, et de noter négativement au moins 30% de leurs équipes. Cette politique, appliquée en cascade depuis la direction jusqu'aux employés, entraîne une vague de burn-out et de dépressions. Même si chaque manager applique ces directives sans intention malveillante personnelle, le caractère institutionnel du harcèlement est caractérisé par cette organisation délétère imposée à tous les niveaux.

Constituer un dossier de preuves solide

Les documents et éléments matériels à rassembler

Votre première réflexe doit être de conserver tous les écrits : emails, SMS, notes internes. La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 mars 2022, considère que les emails dont vous êtes destinataire constituent des preuves recevables d'un fait juridique.

L'évolution jurisprudentielle récente mérite votre attention. Les arrêts de décembre 2023 et février 2024 ont assoupli les conditions de recevabilité des enregistrements clandestins. Si cette preuve est la seule possible pour établir la vérité et que l'atteinte à la vie privée reste proportionnée, elle peut désormais être admise.

Les constats d'huissier représentent une option particulièrement efficace. Leur caractère objectif et impartial leur confère une force probante difficile à contester devant les tribunaux. Un commissaire de justice peut constater l'état de votre bureau relégué dans un placard, l'absence de matériel informatique ou tout autre élément matériel de mise à l'écart.

Conseil pratique : Tenez un journal détaillé des faits de harcèlement en notant systématiquement : la date et l'heure précises, le lieu, les personnes présentes (témoins potentiels), la description factuelle des propos ou comportements, et vos réactions immédiates (pleurs, malaise, etc.). Ce document, même s'il n'a pas valeur de preuve absolue, permet de reconstituer la chronologie et la répétition des faits, éléments essentiels pour caractériser le harcèlement.

L'importance cruciale du dossier médical

Près de 30% des victimes de harcèlement développent des symptômes dépressifs sévères selon l'INRS. Les troubles les plus fréquemment reconnus sont les troubles anxieux généralisés, les épisodes dépressifs, le burn-out, les troubles du sommeil et les symptômes de stress post-traumatique. Votre suivi médical constitue donc un élément probant essentiel, mais attention aux pièges.

Votre médecin traitant doit respecter les articles R.4127-28 et R.4127-76 du Code de la santé publique. Il ne peut attester que de faits qu'il a personnellement constatés et doit rester "parfaitement objectif". Concrètement, il ne doit jamais écrire "harcèlement moral" ni établir un lien de causalité direct entre vos troubles et votre situation professionnelle. L'article R. 4127-76 du Code de la Santé publique impose en effet au médecin de « ne pas affirmer ce qui n'est que probable » et de « se garder d'attribuer des troubles de santé constatés au conflit professionnel ».

Le médecin du travail dispose d'une position privilégiée. Son expertise sur les conditions de travail et leur impact sur la santé lui permet d'établir des certificats plus circonstanciés, toujours dans le respect de l'objectivité médicale.

À noter : Bien qu'il n'existe pas de tableau de maladie professionnelle spécifique pour le harcèlement moral, une reconnaissance est possible via le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) si votre Incapacité Permanente Partielle (IPP) est au moins égale à 25%. Cette procédure permet d'obtenir une prise en charge complète de vos soins et des indemnités journalières sans jour de carence, ainsi qu'une rente en cas d'incapacité permanente.

La valeur des témoignages de collègues

Les attestations de vos collègues doivent respecter l'article 202 du Code de procédure civile : manuscrites, datées, signées, accompagnées d'une pièce d'identité. Elles doivent relater des faits précis dont les témoins ont eu connaissance personnellement.

La réalité du monde professionnel limite souvent cette option. La peur des représailles décourage de nombreux témoins potentiels. C'est pourquoi les témoignages ne doivent jamais constituer votre seule preuve mais venir compléter un dossier déjà étoffé.

L'appréciation des preuves par les juges

L'arrêt du 2 mai 2024 de la Cour de cassation marque un tournant dans l'appréciation judiciaire du harcèlement moral. Les juges doivent désormais examiner l'ensemble des éléments "pris dans leur ensemble" et non pas les écarter un par un. Plus précisément, les juges ne peuvent pas apprécier les éléments de façon séparée ou en écarter certains - ils doivent procéder à une appréciation globale de tous les faits matériellement établis.

Cette approche globale change radicalement la donne. Des faits qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, révèlent leur caractère harcelant lorsqu'ils sont analysés dans leur globalité et leur répétition.

L'intention de nuire n'est plus un critère nécessaire. Seul compte l'effet de dégradation des conditions de travail. Votre harceleur peut même être convaincu d'agir pour le bien de l'entreprise, cela ne change rien à la qualification juridique de ses actes. L'arrêt du 12 juin 2024 de la Cour de cassation confirme par ailleurs que l'enquête interne n'est pas une mesure obligatoire en cas de dénonciation de faits de harcèlement moral, ce qui évite à l'employeur de se retrancher derrière l'absence d'enquête pour contester les faits.

Les juges recherchent avant tout la cohérence et la convergence des indices : dégradation de votre santé attestée médicalement, témoignages concordants, échanges écrits révélateurs, modification brutale de vos conditions de travail. C'est ce faisceau d'indices qui emporte leur conviction.

Face à la complexité de ces situations et à l'importance des enjeux - votre santé, votre carrière, votre dignité - l'accompagnement d'un professionnel du droit devient essentiel. Maître Nedra ABDELMOUMEN, forte de son expérience en droit du travail et de sa connaissance approfondie de ces problématiques, accompagne les victimes de harcèlement moral dans tout Paris et particulièrement dans le 10e arrondissement. Son approche combine rigueur juridique et compréhension humaine, deux qualités indispensables pour vous soutenir dans cette épreuve et défendre efficacement vos droits devant les tribunaux.